|
 |
Le Paradis Perdu
Cette exposition s'est tenue du 21-11-95
au 7-1-96 au Grand Théâtre de Reims.
Avec cette série récente, Janladrou
ne déroge pas à ce qui fait la pérennité
de sa peinture : la confrontation avec la frontalité du
tableau débarrassé depuis toujours du cadre, du
chevalet, de la palette. Bref, de tous les "artifices"
du peintre.
A partir de multiples expériences autour
de ce vide que constitue la volonté d'abolir tout système
référentiel technique, historique, Janladrou se
découvre toujours devant la table rase du tableau dont
il préserve l'innocence le plus longtemps possible jusqu'à
retrouver finalement, après de complexes expérimentations,
les véritables raisons d'être de son approche picturale,
de ses rapports avec l'histoire de l'Art, de la constance de ses
préoccupations. On pourrait, aujourd'hui, les résumer
succintement par la permanence de systèmes sans cesse remis
en question que constitue sa démarche envers l'écriture
; l'écriture réduite à la lettre, à
sa plus simple expression et à sa seule qualité
graphique.
Le texte donc, ne se veut pas signifiant sinon
significatif, au même titre que n'importe quel signe, j'allais
dire : que n'importe quel geste... C'est un contresens d'autant
plus curieux pour un peintre en quête de sens, justement
de sens là où le sens ne devrait pas se trouver.
Car il s'agit surtout pour Janladrou de résoudre plastiquement
et donc par les moyens poétiques de son choix, la dichotomie
entre la forme et le fond qui enterre trop souvent le langage
dans les apparences de la communication. C'est pourquoi cette
peinture nous regarde à travers de nombreuses focalisations
et qu'elle nous demande de nous trouver "en face", si
l'on ne veut pas la laisser transparente, c'est qu'elle peut être,
et c'est aussi sa qualité. En face, et au présent
de l'indicatif surtout, de près ou de loin...
Patrick Hébert |
 |
La nuit est avancée, le jour approche.
Dépouillons-nous donc des oeuvres des ténèbres
et revêtons les armes de la lumière.
Romains XIII, 12
Au fond, le noir, où règne la nuit
blanche, c'est au commencement, sur la plénitude de cette
plastique que Janladrou est pris en sandwich entre la forme et
le sens où l'on reconnaît une lointaine parenté
avec les jumeaux de Lewis Carroll : Tweedledum et Tweedledee.
En un mot comme en cent, lui s'occupe de la lettre, et le sens
? "Et bien le sens, il est assez grand pour s'occuper de
lui tout seul !"
De cet univers du secret qu'il produit dans une
simple perspective économique du faire, le dire s'installe
dans le doute et l'inexprimé ; peut-être aussi dans
le malaise qu'implique toute confrontation aux faux-semblants.
Parce que n'y-a-t'il pas là moyen de se tromper, de n'y
rien voir que prise de risque inutile, illégitime ? Parce
que n'y-a-t'il pas là danger et prétention à
vouloir transmuter les codes de l'indéchiffrable ? Comme
s'il convenait de caresser l'interdit. Il apparaît ainsi,
qu'en parallèle, s'insinue une maladive et fragile préoccupation
entièrement dirigée par et vers le sens malgré
la solidité de la conception, de la mise en oeuvre et du
projet.
(Re)commence-t-il à travailler à
partir de la photocopie qui crée le précédent
et par la même repousse la question de la genèse
créative, cela n'a qu'une importance relative compte tenu
des nombreux accomplissements susceptibles ou non d'aboutir jusqu'au
regardeur, compte tenu des combinaisons propres à "salir"
même le projet, à le révéler ou bien
à le masquer. Ce jeu est à priori le plus inésthétique
qui soit ; on dirait que tous les moyens sont bons à la
condition qu'ils respectent la propre logique de l'oeuvre à
l'insu du peintre ou même contre sa volonté, ou quand
il ne s'agit pas de vouloir trop voir. Ce jeu est un piège
proposé aux équilibristes et aux adeptes des langages
imaginaires.
Il y a de cela, pourtant, dans la plus récente
série de Janladrou : il n'y manque "rien", pas
même l'indice de la vacuité de tout langage qui se
proposerait de révéler quelque secret. Janladrou
se contente de signaler la nécessité de la peinture
et de l'acte de peindre sans cacher les multiples orientations
qui ordonnent son langage plastique. Cette peinture ne bavarde
pas, elle contemple en creusant cette préoccupation permanente
qui s'insinue entre le montré et le caché.
Comme tout traqueur d'origines, Janladrou avoue
sa méfiance prudente à l'égard des Histoires
de l'Art. Sa peinture, d'une approche sans doute parfois abrupte,
a le mérite de garder une place difficile à tenir
dans la solitude de l'inconcession perpétuelle. Elle n'ouvre
pas les portes d'inaccessibles jardins d'Eden ; elle prétend
- et c'est beaucoup - briser toute évidence péremptoire,
définitive et qui ne sanctifie qu'elle-même à
travers les codes des postures dogmatiques. Celles qui ignorent
délibérément la seule proposition poétique
tenable : approcher la beauté subtilement et simplement
éclairée par une âme et un corps.
Patrick Hébert |
 |
Transfiguration
Cette exposition s'est tenue du 9-1-2002
au 2-2-2002 au Théâtre de l'Hôtel de
Ville du Havre.
Devant l'oeuvre de Janladrou, on ne saurait se
payer simplement des mots et particulièrement de ces mots
dont elle se nourrit. "Les yeux échangent leur lumière
contre la nuit des mots" lit-on dans un tableau de Janladrou.
Et certes, si les mots sont ici très présents et
nous convoquent, ils contaminent aussi toutes ces autres traces
invitées, forcées à la signifiance. Tout
réside dans cette "alchimie verbale" où
la forme se fait verbe soudain, où toute forme et tout
chromatisme sont inspirés d'un souffle (mais un souffle
nocturne...) qui les traverse et les excède. Qui nous traverse
et nous étonne. Qui nous transcende et nous prend sur le
fait même. Les tableaux de Janladrou mettent au monde notre
regard qui n'en croit pas ses yeux, ne sait plus où s'arrêtent
les mots, où commence le monde. Et c'est ce monde, dans
son évidence, et en dehors de toute véritable figuration,
qui est alors regardé, partagé.
On n'a plus que cette évidence quand les signes à
la fois s'affirment et se délitent, quand les formes à
leur tour se jouent des signes et les invitent à un plus
grand mystère.
C'est à cette expérience d'altération-révélation
que convie Janladrou sitôt qu'il s'empare de ce que nous
avons inscrit finalement comme par mégarde (savons-nous
bien ce que nous écrivons ?). Oui, il s'empare de ces signes
et de cette parure qui les habille et les habite, et les recouvre
et les efface, ne cesse de nous interpeller vers plus de sens,
ne cesse de sonder l'insoutenable profondeur. Par son travail,
Janladrou déshabitue les mots, les transfigure. Tel fragment
retrouvé, approprié par le support, n'est plus poème,
n'est plus cet "à-soi" immobilisé, figé
à jamais. Il s'imprime dans un mouvement vertigineux, acquiert
une profonde et inquiétante étrangeté, une
énergie renouvelée vers un autre jour. Il n'y a
plus de leurre mais une présence tellement réelle,
tellement heureuse, tellement libérée.
Ainsi on pourrait dire que Janladrou fait oeuvre
"critique" - mais c'est là une critique jubilatoire
qui aurait délaissé ses oripeaux de pesante gravité
- sitôt qu'il prend à son compte, donne à
voir, à lire tel extrait, tel fragment. Le texte, pourtant
si érodé, si retravaillé par le peintre -
jusqu'à l'illisible parfois -, ne fait pas ici de la figuration.
Il acquiert une présence nouvelle, un relief insoupçonné.
Il s'abstrait, "s'insoumet", se libère de notre
tutelle, de cette volonté de le figer dans ce qui serait
un sens définitif. Le chromatisme de cet encadrement salvateur
sont comme un autre discours qui, nous dépossédant
de telle poussière de poème, de ces bribes arrachées,
torturées et remodelées, nous rend au vertige d'une
parole soudaine devenue inouïe, et qu'il convient simplement
d'étreindre. D'une parole de matin du monde quand le regard
est enfin convoqué à l'oeuvre.
Car Janladrou effaçant le signe tout autant
qu'il le montre ne se tient bien finalement que dans cette dimension
purement plastique. Dans cette pure forme et le plaisir qu'elle
engendre. Dans cette joie, cette foi, ce bonheur d'un bricolage
toujours recommencé, toujours neuf, où ce n'est
pas tant l'esprit que le corps de la lettre qui atteint à
la présence. Le corps de la lettre, autant dire le corps
lui-même, notre corps : "j'ai vraiment besoin de
la fabrication des objets, avec tout ce qu'elle a de physique
et parfois de plaisir, de l'expérimentation des médiums
et des supports différents, en un mot d'une pratique relevant
plus du corps que de l'esprit" (Catalogue 1993, interview
de Bruno Sourdin). Pratique d'artisan donc dans toute sa force.
Travail du corps qui rumine la matière, digère la
lumière à sa guise et la transfigure. Travail du
plaisir, de la jouissance. Peinture physique qui surprend, retourne
autant l'artiste "labourant son champ" que le voyeur
exposé finalement lui aussi.
Oui, on ne saurait ici se payer simplement des
mots. C'est dire alors, que les mots mêmes qui voudraient
circonscrire cette oeuvre sont eux aussi, au plus profond de leur
nuit, frappés d'inanité, fondus, confondus, dans
cette lave, dans ce vertige chromatique dont ils croyaient pouvoir
justement rendre compte. Parole vaine que celle qui tente de cerner
ce cadre qui la cerne. Ne reste alors que cette énergie
indéchiffrable, inaliénable, qui explose au grand
jour et nous recouvre. Cette liberté qui est le propre
du travail de Janladrou. Cette liberté qui a pris soudain
toute sa "couleur d'homme" et nous rend au bonheur d'un
regard.
Guy Allix
septembre-octobre 2001
|
 |
On ne peut pas dire que Janladrou
manifeste une propension à se targuer de maîtres
de référence, d'écoles d'art ou de styles-tendance.
Il confesse une formation solitaire, et d'évidence,
son oeuvre ainsi mise à l'épreuve de la réflexion
et de la recherche manifeste une singularité où
se rejoignent le talent, l'harmonie et l'audace.
Particulièrement apprécié
des médias de Basse-Normandie depuis ses premières
expositions à Saint-Lô, Coutances, Caen, dès
1969, Janladrou n'a eu de cesse d'écumer les galeries locales
et de cultiver sa notoriété dans nombre d'expositions
et de biennales Normandes, Bretonnes, Parisiennes et même
récemment Tchèques. Janladrou s'est accaparé
des alphabets, des graphismes tout élégance, raffinement
et harmonie, en exprimant la valeur des mots et de phrases qu'il
tricote avec une passionnante expression et une patiente analyse.
Du noir au blanc pur et combatif, l'artiste n'en
affectionne pas moins la couleur dont il recherche des accords
subtils ou abrupts, tout en délivrant, par la force du
signe et de la forme, un message de pérennité et
de plaisir de l'oeil, avec ce plus de mystère et de rituel
formant un ensemble inédit et fascinant.
André Ruellan,
critique d'art
www.art-culture-france.com |
|